samedi 10 avril 2021

CROISADE  ANTI PLASTIQUES SUR LE LAC VICTORIA (la suite)



Lundi 8 mars 


Nous sommes partis à l’aube propulsé par notre moteur hors bord car il ne règne pas un souffle de vent ce matin sur le lac Victoria . La prochaine étape est un village de pêcheurs situé sur le continent, une trentaine de milles plus à l’ouest, à la sortie de cette large baie qui abrite Kisumu.  Je m’occupe de la navigation avec Victor, le correspondant français de l’association. Il vit à Kampala, capitale de l’Ouganda et s’est chargé de la coordination des activités et des rencontres dans ce pays. Pour l’instant, nous suivons notre route à l’aide des GPS et des cartes « marines » de nos téléphones. La seule incertitude est la justesse des sondes de profondeur. Même si le tirant d’eau de notre bateau n’excède pas les 1 m 20  et les fonds du lac constitués la plupart du temps de sable et de vase, il faut ouvrir l’oeil et rester prudent, sans compter les défaillances de notre sondeur soumis à des pannes aléatoires. Le pont du bateau est encombré de divers matériels dont la caisse imposante d'instruments scientifiques destiné aux relevés d’eau du lac que nous devons effectuer chaque jour. Je dénombre onze personnes à bord, dont l’équipage du bateau, Ben responsable des opérations, Bahati, notre scientifique tanzanien et l’équipe d’Umber Production chargée des images vidéo. Je me demande ce que cela donnera lorsque nous rencontrerons le vent et les conditions rudes promises par de nombreux observateurs alarmistes. Mais jusque là tout va bien, malgré ce soleil de plomb qui oblige à se déplacer cassés en deux sous une bâche de protection tendue au-dessus du pont. Comme prévu, un thermique léger se lève en début d’après-midi , ce qui nous permet d’envoyer notre voile latine dont la manœuvre me laisse encore songeur !  A notre arrivée sur le quai improbable constitués de moellons inégaux ajustés avec des morceaux de liane ou de sangle, nous attend une foule enthousiaste d’ habitants de tout âge curieux de notre bateau qui semble  fait de confettis de toutes couleurs. Après avoir répondu aux multiples questions sur notre présence sur leur lac avec ce bateau incroyable, unique, entièrement construit à partir de déchets plastiques, nous devons bouger car l’amarrage à ce quai soumis à un clapotage désordonné est impensable et il nous faut trouver un mouillage dans une baie abritée pour la nuit. 

Le soleil se couche dans un dernier intense rougeoiement derrière les collines.  Ali et Hassan font chauffer de l’eau sur notre unique réchaud, probablement pour préparer une soupe ou cuire des pâtes qu’ils mélangeront avec des morceaux de poulet assaisonnés au curry. Une partie de l’équipe a débarqué pour installer des tentes sur le rivage. Pour ma part, je préfère dormir à bord allongé sur l’une des deux banquettes située un peu en retrait sous le pont ainsi abrité du vent, même si la nuit il ne souffle guère. Le bateau se dandine doucement, l’eau bout tranquillement, Ali et Hassan conversent calmement en Swahili, le silence de la baie est troublé par les cris de quelques volatiles, les étoiles naissent dans le ciel ambré, tout est paisible. Je réalise que je ne suis pas au mouillage dans une baie de mon cher Finistère, mais ancré sur le plus grand lac d’Afrique, une mer intérieure d’eau douce de plus de 160 000 kilomètres carrés…


(à suivre)

jeudi 8 avril 2021



 

CROISADE ANTI-PLASTIQUES SUR LE LAC VICTORIA


A moitié somnolent dans l’avion qui me ramène en Europe après trois semaines passées sur le Lac Victoria, je me remémore tous ces moments de partage avec les populations locales vivant sur et autour le lac. Je médite et me dis aussi que tout irait mieux dans notre monde compliqué s’il existait plus de personnes de la trempe des patrons de Flipflopi Organisation avec qui je viens de passer tout ce temps, Depesh et Ben, tous eux anglo-kényans, sans oublier Ali Khanda notre capitaine constructeur natif de Lamu sur le côte est du pays.


Flipflopi est un projet kenyan porté par des hommes aventureux et généreux adorant l’Afrique ses paysages et ses habitants, atterrés par les menaces que le monde moderne fait peser sur son environnement, plus particulièrement à cause de la prolifération de ces déchets plastiques que personne ne ramasse et qui empoisonnent les fleuves, les lacs et les  océans. Inspirés par les missions planétaires  anti-plastiques de notre fondation Race For Water, ils ont décidé de montrer à leurs concitoyens qu’il était possible de valoriser ces déchets  en construisant un bateau  uniquement à partir de résidus plastiques, utilisant entre autres près de 30000 tongues de toutes couleurs pour fabriquer la coque, « flipflop » en anglais, d’où le nom du bateau et de l’expédition.


Après avoir testé efficacement leur bateau, un « dhow » traditionnel de dix mètres de long et l’efficacité de leur dialectique dans une première expédition le long des côtes est de l’océan indien entre Lamu et Zanzibar, le projet suivant était de s’attaquer au Lac Victoria, second plus grand lac du monde et réserve d’eau douce de millions de mètres cubes donnant naissance au Nil et s’écoulant jusqu’en Méditerranée. Un vrai sujet écologique et géopolitique avec près de 60 millions de personnes habitant autour et sur les 3000 îles que comptent le lac dont les rives sont partagées entre trois pays, le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie (dans le sens contraire des aiguilles d’une montre puisque nous sommes de très peu dans l’hémisphère sud !)


Je fais la connaissance de l’équipe Flipflopi à Kisumu, la plus grande ville portuaire kenyane installée au fond d’une baie étroite bordée de collines d’herbes rases. La chaleur est étouffante la journée car nous nous trouvons pratiquement sous l’équateur. Ma première constatation est que l’eau de cette baie d’une attirante couleur chocolat est particulièrement polluée. Rien d’étonnant lorsqu’on m’explique que vivent ici environ 2 millions de personnes dont quatre vingt  pour cent au moins en dessous du seuil de pauvreté. Il est difficile de parler d’environnement et de lutte contre la pollution plastique à des gens dont le souci quotidien est de trouver à boire et manger pour nourrir leur famille et survivre au jour le jour. Malgré cela je m’associe aux efforts de mes camarades qui préparent le bateau avec les moyens du bord et des talents de bricoleurs hors norme et chaque jour prêchent la bonne parole dans les misérables villages de pêcheurs voisins et les banlieues envahis par les déchets de toute nature, car ici les service de voirie sont payants et de fait accessible à une minorité fortunée. Quelques jours avant notre départ est organisée avec l’aide du gouvernement kenyan et de l’AFD (Association Française du Développement) une conséquente réunion VIP où de nombreux orateurs rivalisent d’intenses bla-bla qui ne m’émeuvent guère lorsque je repense aux canaux de la ville obstrués par les déchets. Pour me consoler la représentante de l’AFD me fait remarquer avec justesse que ce genre de réunion a l’avantage d’exister, de ramener des médias et de permettre d’évoquer enfin la situation dramatique du lac.


(À suivre)