jeudi 12 mai 2011

RETOUR DANS LE KHUMBU


Le Khumbu est au Népal une des régions du pays sherpa. On la traverse pour aller au Camp de Base de l’Everest ou pour gravir le Lothse, le Pumori ou le Nuptse.... Ce retour au Népal et dans cette vallée du Khumbu, huit années déjà après mon ascension de l’Everest, s’est fait à l’occasion d’un voyage organisé pour une équipe d’amis avec à la clé l’ascension d’un sommet de plus de 6000 mètres, le Lobuche Peak.

Retour au Népal. Katmandou n’a guère changé : circulation intensive, poussière, bruit, klaxons, touristes de tout poil. A la question, comment définirais-tu Katmandou, en 3 mots ? Je répondrais, poussière, foule, bruit. Et pourtant, il se dégage un charme indéniable qui fait qu’on est content d’y revenir. Nous trainons une après-midi entière dans Tamel à la recherche improbable de tout et n’importe quoi. Nous nous arrêtons dans un bout de ruelle étonnamment calme pour déguster un vrai ice-tea délicieux. Nous achetons 3 sacs d’expédition North Face à 2000 roupies pièce (20 euros) réputés totalement authentiques. En fait on n’est pas sûr qu’ils soient totalement étanches et que les sangles tiennent les 3 semaines de notre expédition. Nous dinons avec Norbu et sa femme Nigma dans un restaurant proche de notre hôtel. J’ai toujours beaucoup de plaisir à retrouver Norbu. Il symbolise pour moi la réussite intelligente des sherpas. Né à Namche Bazar capitale nid d’aigle du pays sherpa à 3800 m d’altitude voici une quarantaine d’années, il a été porteur comme tous les jeunes de sa génération avec la chance de fréquenter l’école avant de partir en France dans les Alpes pour travailler dans des refuges où il rencontre des alpinistes et guides avec lesquels il travaille pour devenir un bon alpiniste. En 2003, nous le retrouvons au camp de base de l’Everest dans l’expédition des Belges en compagnie de guides français avec lesquels il réussira le sommet, ce qui lui permettra de changer de vie et de s’installer à Katmandou où il devient le correspondant de Terre d’Aventure grâce entre autres à sa connaissance parfaite de la langue française.

Le lendemain, vol et atterrissage sur la piste improbable de Lukla à 2800 mètres. Nous admirons la dextérité des pilotes qui posent presque tranquillement leur appareil en se faufilant entre deux montagnes, le balançant entre les trous d’air jusqu’à une piste étroite et courte qui s’achève brutalement contre une falaise.
J’ai juste l’impression de revenir 8 ans en arrière lorsque nous avions atterri au même endroit pour gravir l’Everest. J’étais repassé au même endroit 8 semaines plus tard à bord d’un hélico rapatrié en urgence après avoir ramené du sommet de graves gelures aux doigts. Quelques lodges supplémentaires ont été construits mais l’ambiance générale est la même : la ruelle étroite irrégulièrement pavée qui traverse le village, la rencontre avec nos porteurs et la répartition des charges, les échoppes sombres où l’on vend de tout, les femmes sherpani agenouillées sur les seuils de pierre luisante avec leurs enfants en bas âge emmitouflés de lainages multicolores.
La procession des trekers s’ébranle. Le temps change. Il se met à pleuvoir. Les parkas remplacent les fourrures polaires. Ca râle un peu. Le sentier monte puis redescend. On croise de temps en temps des yaks impavides. On marche doucement en prenant son temps jusqu’au lodge où l’on passera la nuit.
Aujourd’hui, on gagne en altitude. On va passer le cap des 3000 mètres et atteindre même les 3800 mètres en arrivant à Namche Bazar. Chacun étudie ses réactions internes, intimes, par rapport à l’altitude, c’est quand même le vrai problème qui inquiète tout le monde, même ceux qui sont déjà allés très haut. Car on sait bien que rien n’est jamais acquis dans ce domaine.
Nous voici installés à Namche dans un lodge superbement placé dominant les étagements en terrasse de la ville. Anselme regrette les anciens toits de lauze. Je trouve au contraire que la diversité des couleurs des toits de tôle, vert, bleu, rouge vif donne à l’ensemble une note de gaité joyeuse et ne nuit pas, bien au contraire, à l’œil du photographe .
Ce matin, nous sommes allés voir l’Everest du point de vue du lodge qui surplombe la vallée. Le sommet était nimbé de nuages de vent. Pas de sommet pour aujourd’hui : it’s not a summit day….
Cela va faire 8 ans que nous nous trouvions assis dans la courette du Snow Lion Lodge à Dingboche sous l’Ama Da Blan attablés au soleil autour de la même omelette au fromage arrosée de thé sucré à scruter le sommet du Lothse toujours pris dans le vent, nous, les 4 mousquetaires de l’Everest, Patrick, Nicolas, Bruno et moi.
Me voici ce soir installé à la même table de pin vernissé avec autour de moi la même bruyante assemblée de trekers et sherpas. Le Khumbu a changé et n’a pas changé…

Le Khumbu a changé : on a cru nécessaire d’installer un réseau GSM. Soi disant pour des raisons de sécurité… Avant, ça marchait très bien avec les téléphones satellite quand on avait vraiment besoin de communiquer. Aujourd’hui presque tous les sherpas ont leur téléphone portable et le premier souci des trekers est de savoir s’il y a du réseau…. Volontairement ou par esprit de contradiction j’ai éteint le mien , quel bonheur que je trouve inestimable de ne plus être lié aux mails, messages, sms, internet et autres éléments indispensables de notre civilisation moderne. Les lodges ont poussé comme des champignons. Nécessité puisque le trek jusqu’au Camp de Base de l’Everest ou presque est l’un des plus apprécié ou couru et il faut bien loger la masse des trekers qui se trainent à une allure d’escargots sur les sentiers qui convergent vers le toit du monde. Cette allure d’escargots qui caractérise les non-sherpas qui se déplacent par ici. L’acclimatation à l’altitude, c’est le lot de tout le monde malgré le diamox et autres médications. Le mal des montagnes rode autour des équipes de trekers.

Le Khumbu n’a pas changé. Elle reste une région magique finalement peu touchée par les évolutions technologiques qui sait garder son authenticité. Lorsque nous l’avons traversé en 2003 il y avait déjà une quantité importante de marcheurs attirés par le cinquantième anniversaire de l’ascension de l’Everest et c’était la raison de notre présence à nous aussi. Cette année il y a encore beaucoup de monde sur les sentiers. C’est à la fois gênant et amusant si l’on considère la variété des ethnies rencontrées et certains personnages typiques ou carrément hors du temps : par exemple ce trader de Wall Street transformé en treker après avoir dévalisé la boutique Paragon pour s’équiper comme un explorateur du bout du monde. Donc ce n’est pas si grave et ça ne diminue en rien la magie .

Quelques morceaux choisis de notre voyage qui pourrait devenir aussi le vôtre : la montée au sommet du Kalapathar colline bénigne culminant à 5400 mètres mais entourée d’une symphonie des plus hauts sommets du monde, le Nuptse, le Lothse, le Pumori et bien sur sa majesté terrifiante le Mont Everest . L’interminable traversée du col du Cho La sous la neige à 5400 mètres d’altitude avant de redescendre vers la douillette chaleur d’un lodge confortable blotti tout au fond d’une insondable vallée encadrée de sombres murailles morainiques. La vie dans les lodges : les petites chambres proprettes avec deux banquettes qui se font faces agrémentées chacune d’une chaude couverture multicolore en laine de yak, les toilettes minimalistes au fond du couloir de planches de pin soigneusement découpées et assemblées, la salle commune aux larges baies vitrées, centrée autour de la chaleur de l’inévitable poêle en fonte alimenté par les odorantes bouses de ces mêmes yaks, les tables cirées ou vernies qui en font le tour avec ces banquettes rendues confortables par d’épaisses couvertures auxquelles s’adossent les mêmes sempiternels personnages, trekers de toutes nationalités et de tout âge, rares alpinistes, porteurs et guides sherpas. Ici, on joue aux cartes, on lit, on discute, on écrit ou tout simplement on somnole malgré le brouhaha qui s’élève de toute cette humanité. Et le thé, toujours le thé, noir, au lait ou au citron… Les sherpas qui nous accompagnent n’ont pas changé non plus. Toujours affables et souriants, résistants au-delà de toute limite, Lakpa, Nawang, Pemba, Nuru, Karma, ils dirigent les porteurs, organisent la logistique et les campements, gravissent avec nous les montagnes. Mais que la vie reste rude au fond de ces vallées perdues. Aujourd’hui nous nous trouvons à Gokyo, hameau de quelques maisons ramassées autour d’un grand lac de montagne à moitié pris par les glaces et entouré d’immenses moraines. A 4800 mètres d’altitude, on vit au sommet du Mont Blanc. Nous sommes fin avril et il neige. Je ne raffole pas de ce type de comparaison mais on pourrait se croire dans un village de pêcheurs au fond d’un fjord norvégien du côté de Tromso. Avec tout le confort en moins et l’altitude en plus. L’électricité indispensable dans notre monde moderne est rare et provient de quelques panneaux solaires, pas de bois pour se chauffer, l’eau n’est pas courante, il faut aller la puiser au lac, la nourriture se résume à du riz et encore du riz, quelques patates, des œufs, peu de viande car dans ce pays boudhiste, les yaks comme tous les autres animaux sont sacrés donc intouchables. Les hommes sont rares à cette époque car ils travaillent comme porteurs ou guides, les enfants sont rares, le taux de mortalité est énorme et seuls les plus robustes survivent, les femmes assurent le quotidien et tous les travaux pénibles. On se trouve au bout du bout du monde..... Et demain nous essaierons de gravir le Lobuche Peak et dépasser ainsi la barre des 6000 mètres...

1 commentaire:

  1. Bravo Eric, pour la performance et pour ton style, vivant, qui donne vraiment envie d'aller voir si le Khumbu a changé (ou pas !).
    Juste, vers la ligne 80, tu aurais peut-être dû écrire "Volontairement ET par esprit de contradiction...", non ? ;D
    Valérie (Gazelle 179)

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