jeudi 14 mai 2015

Voyage au royaume des glaces. Récit.

Atterrissage au Groenland à bord de Maewan 4



Dimanche 29 mars 2015
Je débarque une fois de plus à l’aéroport international de Reykjavik , en provenance cette fois ci de Genève. On est à la fin de l’hiver et il a neigé récemment ce qui rend le paysage un peu plus gai… avec un bon coup de blanc sur les volcans alentours. C’est la remarque que je fais à Adrien Coirier, notre « freerider" de service au fond du bus « shuttle » qui nous transfère vers nos hôtels. J’aime beaucoup cette petite ville du Nord et je me réjouis de passer une soirée tranquille dans un bar restaurant du centre en dégustant une bonne bière avec mon camarade. Notre vol suivant ne part que demain matin, le temps semble calme et il ne devrait y avoir aucun risque de retard ou d’annulation, ce qui n’avait pas été le cas lors de mon dernier passage ici.

Lundi 30 mars 
Le petit avion à hélices de Air Greenland nous attend sur le tarmac glacé de l’aéroport intérieur de Reykjavik . Celui ci se situe à toucher la ville ce qui est bien pratique lorsqu’on part tôt le matin. D’ailleurs on est chaque fois surpris quand on se promène dans les rues de voir surgir un aéroplane qui rase les flots vert jade de la baie. 
Mes camarades (nous avons été rejoints par Christophe photographe de son état) sont déjà là emmitouflés dans leurs épaisses doudounes et ne déparent pas des autres passagers pour la pointe nord ouest  de l’île. On est lundi matin et il y a dans l’avion des enfants aux vêtements bariolés qui doivent se dépêcher de regagner les bancs de leur écoles.
Il est presque huit heures et le jour est déjà bien clair. Le froid est sidéral et je suis rassuré par les mécanos qui aspergent les ailes de notre aéronef d’eau chaude pour  en dégeler les commandes. On ne devrait plus tarder à décoller. Nous nous engouffrons dans la carlingue étroite accueillis par une accorte hôtesse blond viking après un dernier regard aux maisons pimpantes de la capitale qu’illumine un furtif rayon de soleil .  Mon dernier voyage en Islande date du printemps dernier lorsque nous étions venus faire des repérages à l’intérieur de l’île pour un « incentive » qui n’a jamais eu lieu, à cause de la colère incontrôlable d’un volcan. Nous avions passé quasiment 8 jours sous la pluie et je suis ravis de contempler aujourd’hui le paysage enneigé qui se déroule majestueux sous nos ailes à mesure que l’avion prend de l’altitude.


Transport intérieur pour l'ouest.
Au bout d’une heure de voyage aérien plutôt calme, nous traversons le coton des nuages pour surgir au dessus de fjord d’Isatfordur où nous attendent les bateaux. Pour atterrir dans le bon sens de la piste le pilote est obligé d’exécuter une manoeuvre qui parait hasardeuse en longeant à quelques centaines de mètres à peine une falaise raide crayonnée de canyons garnis de neige. On comprend que l’atterrissage ici est impossible par vents forts ou épais brouillard. En contemplant un peu inquiet tout de même les pentes de la montagne qui défilent toutes proches à travers le hublot, j’imagine l’horreur des derniers instants des passagers du vol de la Lufthansa qui s’est encastré il y a quelques jours contre un sommet des Hautes Alpes.
Enfin nous atterrissons! Un vent glacial nous cueille en descendant l’échelle de coupée. J’ai compris. Nous allons nous geler !
Un taxi débonnaire nous conduit jusqu’au port qui repose sous la neige. Nous retrouvons La Louise et Maewan 4 accouplés paisiblement devant deux énormes chalutiers. Des oiseaux de mer frondeurs s’ébattent sur les eaux huileuses. Il règne un grand silence. Nous hélons nos amis qui sortent les uns après les autres du ventre des bateaux. Visiblement nous les avons réveillés au vu de leurs mines embroussaillées. 


Marins et alpinistes réunis à Isatfordjur

Mardi 31 mars
Le réveil d’Erwann retentit à 6h00. J’ouvre un oeil torve emmitouflé au fond de mon sac de couchage qui garde une douce chaleur que je n’ai guère envie de quitter. Nous nous trouvons à couple de La Louise tout au fond d’un fjord qui nous garantit un calme parfait. L’équipage s’ébroue doucement et commence à aller et venir dans le carré du bateau. Nous sommes cinq, quatre garçons et une fille pour ce convoyage de 1000 milles à peu près vers le Groenland. Il y a Erwann, le leader du projet Maewan, Bertrand Delapierre, cadreur skieur alpiniste, Léo, un jeune freerider de Chamonix qui nous a rejoint au tout dernier moment en compagnie d’ Annabelle, une jeune marine experte en classe mini, copine de Thierry Dubois avec qui elle a convoyé La Louise de la Bretagne à l’Islande le mois dernier. Et moi, le Captain, chargé de superviser cette navigation qui pourrait s’avérer difficile.
Je m’extirpe de mon duvet et enfile plusieurs couches de vêtements l’une sur l’autre car il fait plutôt frisquet, témoin la mince couche de givre qui recouvre les hublots. Notre plan est de partir au plus vite afin de profiter du courant de vent de Nord qui va nous permettre de tracer, au moins au début, une route directe vers le cap Farwell, pointe septentrionale du Groenland. Avant cela nous passons quelques instants à filmer les bateaux à partir d’un semi rigide, ce qui permet aussi de dire au revoir à nos amis.


Nos bateaux à couple dans un fjord islandais.

Après un départ à la voile, nous nous déhalons paresseusement vers la sortie que nous percevons là bas tout au fond, bordée par une ceinture de montagnes enneigées. Nous longeons une côte austère illuminée par quelques maisons de pêcheurs aux couleurs vives jusqu’à un phare perché sur un piton rocheux le dernier avant les côtes groenlandaises. Le vent souffle faible de l’arrière ce qui nous empêche de naviguer correctement à la voile. Les premières heures de notre traversée se feront donc au moteur, afin de maintenir notre moyenne de 6 noeuds qui nous permettrait d’arriver dimanche à notre premier mouillage un peu à l’ouest de la pointe sud du continent.

Les sommets plats de la côte nord ouest d'Islande.
En fin d’après midi les galettes blanches des hauts plateaux islandais s’estompent et nous naviguons grand voile haute et foc solent sur une mer d’un bleu de glace qui noircit à mesure que le soleil se couche à l’horizon. Nous organisons des quarts de deux puisque nous sommes pour l’instant trois à pouvoir barrer le bateau, en espérant que nos deux compagnons  vont s’y mettre assez vite. Pour l’instant c’est Léo le jeune freerider qui me tient compagnie. C’est sa première traversée, et me semble-t-il, la première fois qu’il embarque sur un bateau à voile, du coup il somnole engoncé dans son ciré et ses bottes affalé dans la banquette du cockpit. Je barre tranquillement dans le soir qui tombe. J’ai un peu de mal à trouver une position confortable derrière la barre à roue assez reculée et j’ai les bouteilles de gaz qui me frottent désagréablement les mollets. Mais cela fait du bien d’être en mer.

Beau temps de courte durée. Les fichiers météo sont tous tombés d’accord pour nous promettre un courant de nord est forcissant progressivement. Dans la nuit, je fais des essais de pilote automatique qui s’achèvent par un empannage involontaire. La retenue de grand voile empêche celle ci de percuter la bastaque, c’est déjà ça, mais le bateau se couche violemment. Première embardée qui surprend considérablement Léo de quart avec moi, le temps que je remette un peu d’ordre et le bateau dans la bonne direction. Je sens mon compagnon de quart, que nous appellerons plus tard « le mousse », assez inquiet à l’orée de sa première expérience maritime, malgré son statut de « freerider » de grandes pentes raides.


Annabelle à la barre dans le gros temps.

25, 30, 45 noeuds de vent avec une mer qui devient forte puis carrément grosse, bâbord amures, nous maintenons un cap approximatif vers le sud du Groenland. Il va de soi que nous avons rapidement installé le troisième ris puis la trinquette arisée elle -même. Sacrée trinquette qui  se déchire dans sa partie haute suite à un départ au lof. Décidément les voiliers modernes ne savent plus confectionner des voiles munies de mousquetons. Avec Erwann, nous bataillons sur la plage avant pour l’affaler sans trop de dégâts supplémentaires avant d’aller chercher l’ORC dans le coffre arrière. Cela faisait longtemps que je n’avais pas navigué sous ORC seul, mais il est vrai que l’ambiance est carrément aux quarantièmes rugissants. A la barre, c’est sportif. La mer  est croisée, les vagues abruptes et il faut éviter de se mettre en travers, ce qui n’est pas toujours possible avec les déferlantes qui nous rattrapent. Cela nous coûte quelques frayeurs et notre belle capote…. On maintient le cap et les heures passent. Quelquefois il neige à l’horizontale dans les grains. Heureusement que le vent vient de l’arrière.

Vie à bord .... Maewan 4 ... Mer du Danemark...
La vie à bord. Quarts à deux. Barre obligatoire. Pilote automatique instable à cause de la mer désordonnée avec cette houle désagréablement croisée. Recherche du meilleur équilibre, dérive remontée complètement ou à moitié, dérives arrières basses ou hautes. On avance tout de même dans la bonne direction avec une moyenne constante de 6 à 7 noeuds et quelques surfs sur la pente de vagues plus grosses, autour de 15 noeuds, voire un peu plus. Le vent vient du nord est , un nordet glacial qui nous force à rajouter des couches. Heureusement le bateau mouille très peu à cette allure et les grains de neige se font rares. Les nuits sont courtes, quelque fois il y a de la lune, la navigation n’est pas forcément agréable mais pas pire non plus. J’attends que ça mollisse un peu pour renvoyer notre grand voile avec trois ris afin de mieux équilibrer le bateau et le rendre plus facile à diriger dans ce chaos de vagues déchainées.

Vent de travers, grosse mer, oiseaux du large....
Malgré l’agitation désordonnée de notre petit navire, l’équipage garde le moral et un bon appétit . Nous faisons honneur à la gamme complète de plats lyophilisés que nous réchauffons promptement dans la cocotte minute convenablement fermée. Barrer, manger, dormir, c’est le lot des marins de Maewan pendant 4 jours et 4 nuits jusqu’au moment où au milieu d’une après midi presque agréable avec un vent moins fort mais surtout un horizon dégagé de nuages Bertrand nous appelle sur le pont car on aperçoit au loin les premières montagnes enneigées du Groenland. Ces montagnes sont d’ailleurs de véritables pics totalement différents des sommets aplatis d’Islande. De loin on a l’impression d’atterrir dans les Alpes .

Atterrissage sur la côte Est du Groenland ....
Il suffit maintenant de nous laisser glisser vers le sud en longeant la côte encombrée par la banquise jusqu’au Cap Farwell. Nous avons enfin des nouvelles de La Louise qui  se trouve à environ 100 milles devant nous et placée en éclaireur cherche un passage pour pénétrer dans un fjord pour un premier mouillage.

Plus nous nous rapprochons de la côte et plus nous commençons à croiser des bancs de growlers de plus en plus denses. Une nouvelle expérience commence : la navigation dans les glaces. Heureusement le vent est complètement tombé et la mer avec. Je n’ose imaginer la situation avec du mauvais temps ! Je pense qu’il aurait fallu attendre au large pour ne pas courir le risque d’être broyés par ces bouts de glace dont certains doivent peser plusieurs tonnes.
Au début, nous essayons d’éviter les morceaux les plus gros en zigzagant au mieux. Quelques heures plus tard, nous traçons tout droit à travers cette mer de glace avec l’un d’entre nous en vigie perché sur la première barre de flèche, sensé nous indiquer la direction des ouvertures dans la banquise. 
Et les heures passent. Je suis inquiet. La météo nous annonce du gros vent de nouveau en fin d’après midi et je n’aimerais pas qu’on soit pris au milieu de cette mer de glace à ce moment. J’imagine mal notre situation au milieu de cette mer de glaçons tranchants agitée par la houle. Avec la patience et la lenteur d’un hanneton, mètres par mètres, nous nous frayons un passage jusqu’aux eaux libres à l’entrée du fjord. 


Navigation au milieu des growlers......


Ce qui va nous permettre de rentrer à l’intérieur où selon le capitaine des glaces Thierry Dubois, les icebergs ne rentrent pas. Autour de nous des sommets abrupts de neige et de glace font rêver nos trois alpinistes. Comme prévu, alors que nous réussissons à nous mettre à l’abri le vent se lève fort et de face. Nous venons tout juste de recevoir un message et une nouvelle position de La Louise qui va nous permettre de rejoindre nos copains. Notre rendez vous est un minuscule et improbable port niché sous d’énormes parois de granit et repérable par l’éclat blanc d’un phare : 1 éclat blanc toutes les 5 secondes. La Louise rentre en premier et prend un temps qui nous semble très long pour se garer. En fait,  le quai sur lequel il doit s’amarrer, nous nous en rendrons compte plus tard, mesure à peine 10 mètres de long…. Nous attendons dans la nuit maintenant totale qu’il nous fasse signe de rentrer à notre tour. Maintenant, en plus du vent qui nous gifle , il neige à bloc. Quel pays ! Le temps nous parait bien long et c’est dans ces conditions désagréables que nous nous préparons nous mettre à couple côté bâbord. Après cinq jours complets de mer.
Cela fait plaisir de retrouver les copains et surtout l’intérieur confort de La Louise qui nous parait une sorte de palace flottant à côté de notre petit esquif. Surtout que Thierry nous invite à diner à bord et propose même une douche chaude pour ceux qui en ont envie. Nous nous serrons donc tous autour de la grande table du carré pour un joyeux diner où chacun racontera ses impressions plus ou moins épiques  de cette traversée agitée du détroit du Danemark. Joyeux diner qui se finira par une fête digne du Trophée Mer Montagne avec vodka et autres alcools variés frappés, rock ’n roll endiablé jusqu’au lever du jour ou la fin de la nuit, c’est comme on veut.


Nos bateaux à quai à Augpilagtoq.


Lundi 6 avril : Escale à Augpilagtoq….
Au réveil nous avons la surprise de découvrir nos bateaux enfouis sous 30 bons centimètres de poudreuse. Ce sont nos skieurs qui vont être contents!
Augpilagtoq est un surprenant et sympathique petit village Inuit niché sur un socle de granit à l’aplomb  d’une montagne abrupte, imposante, barrée par un couloir étroit et rectiligne. On découvre une ribambelle de maisons proprettes, multicolores serrées autour d’une église couleur bordeaux . C’est une colonie de 120 à 130 personnes de pêcheurs de flétans et de chasseurs de phoques. Un quai de béton protégé par des planches permet au cargo hebdomadaire d’accoster et pour l’heure d’accueillir nos deux bateaux une fois de plus accouplés. Il y a une pêcherie, une grande supérette dans laquelle on peut acheter de tout et bien sûr une école car les enfants sont nombreux, 20 pour cent de la population. C’est d’ailleurs le lot de tous les villages Inuit disséminés sur la côte, comme nous le raconte Timo notre guide local qui parle presque un anglais parfait qu’il a appris nous dit il en un an en Angleterre, à Exeter plus précisément. 


Pêcheur Inuit et ses flétans bien frais.....

Les alpinistes sont partis explorer le secteur, accompagnés des deux cadreurs chargés de réaliser le film de notre aventure. 
N’ayant aucun matériel de montagne pour les accompagner, je pars me promener, mon Leica en bandoulière, dans le village envahi par la neige. En débarquant du bateau on doit passer devant la pêcherie. Je retrouve Léo, Mémé et Adrien en train de contempler des caisses pleines de flétans fraichement sortis de l’eau. Je les prends en photo, jouant aux pêcheurs d’Islande, en tenant chacun fièrement à bout de bras un poisson atrocement gluant.


Alpinistes pêcheurs de morue....

Il a tellement neigé,et cela continue encore, que les habitants ont taillé de véritables tranchées dans la neige pour rejoindre les différentes maisons. Celles ci sont toutes bâties sur le même modèle qui doit dater de la venue de charpentiers danois au début du siècle dernier : petits cubes en planches de couleurs vives, rouges, bleues, jaunes ou noires, avec un étage mansardé et devant une petite avancée qui sert d’entrée et de cuisine. Et des fenêtres toutes encadrées de blanc. Avec quelquefois des morues immobiles  qui sèchent avec le linge sur des étendages de fil de fer. Le village est clairsemé et doit tenir au plus dans deux terrains de football. Tout est bien rangé et propret. Un long escalier de bois permet d’accéder au point culminant sur lequel est juché le phare qui nous a guidé hier jusqu’à l’entrée. On y trouve également une antenne parabole qui sert de relais téléphonique, ce qui permet au  village d’être relié au reste du monde par un réseau GSM conséquent. L’énergie est produite par un groupe électrogène qui fonctionne presque en continu. Je suis surpris qu’il n’y ait pas d’éolienne car l’endroit est constamment balayé par le vent. Je passe à côté de l’école, fermée aujourd’hui, car nous sommes Lundi de Pâques. Juste à côté se trouve l’église. Un modèle que l’on retrouve dans de nombreux pays nordiques, que ce soit la Suède, l’Islande ou la Norvège. A croire que les évangélistes se sont donnés le mot pour construire des lieux de culte identiques, afin que chacun des pauvres pêcheurs s’y retrouve.


Les maisons Inuit d'Augpilagtoq


Augpilagtoq, nous y resterons plus longtemps que prévu. Au début, nous n’avions guère prêté attention aux commentaires des Inuit venus curieux visiter nos bateaux et qui prétendaient devant l’incongruité énorme de voir des bateaux à voiles ici à cette époque de l’année que nous étions là pour un mois au moins. « Sacré marins français, vous voilà bloqués pour longtemps !!! »



La Louise devant Augpilagtoq

Jour après jour les prévisions ne font que le confirmer. Chaque jour, nous tentons une sortie pour emmener nos grimpeurs explorer de nouvelles faces et couloirs avec l’espoir de ne pas revenir au village. En vain, à chaque fois nous trouvons la sortie des fjords bouchés par une banquise sans fin. Ce soir, c’est même un véritable fleuve de glace qui défile lentement devant l’entrée du port avec des morceaux d’iceberg qui s’invitent à l’intérieur…. C’est assez effrayant et de plus en plus inquiétant. La Louise doit récupérer ses prochains clients à Nuuk  350 milles plus au Nord lundi qui vient et c’est aussi la date de notre avion de retour. Les Inuit nous annoncent inlassablement  la venue du cargo ravitailleur dont nous pourrions profiter du sillage pour franchir les glaces, mais l’espoir s’amenuise peu à peu car il n’arrive pas à venir jusqu’à nous. Et le mauvais temps revient de nouveau avec un vent glacial de nord ouest qui repousse la banquise vers nous et recouvre l’eau du port d’une mince couche de glace.



Fleuve de glace .....

On commence à envisager des plans B. Pour Bertrand et moi, il n’est pas question de remonter avec Maewan et le coeur un peu serré nous embarquons sur La Louise. Car nous l’aimons bien notre bateau. Si cela dure trop on pourrait aussi rallier Nuuk en hélicoptère…. Les villages isolés sont régulièrement  joints de cette façon, mais uniquement lorsque le temps est beau… Dès lors, chacun évoque des hypothèses plus ou moins encourageantes.
Enfin le vendredi, nous décidons de faire une ultime  tentative avec les deux bateaux La Louise ouvrant la route grâce à son poids et son étrave renforcée . Bertrand et Adrien se relaient en tête du grand mât pour essayer de trouver des passages dans ce dédale de glace. En fin de journée, nous réussissons à mouiller les deux bateaux côte à côte dans un petit morceau d’eau libre presque à toucher la rive. Il est hors de question de continuer la nuit et nous poursuivrons demain.
Durant la nuit nous organisons des quarts de surveillance car nous sommes vraiment près du bord et il ne faudrait pas s’échouer si le vent vient à tourner. Je somnole dans le carré quand Léo vient me chercher. Il est deux heures du matin et en l’espace d’un instant l’étau de glace s’est resserré autour de nous. Plus rien à faire, nous sommes prisonniers de la banquise.



Notre Capitaine des Glaces



EAUX LIBRES ET CAPITAINE DES GLACES !!!

Samedi 17 avril
Thierry Dubois, miraculé de l’Océan Indien, alias « seconde cartouche », pour avoir été sauvé des eaux après son chavirage du Vendée Globe,s’est réincarné en Capitaine des Glaces à bord de sa fière goélette La Louise.
Maintenant que nous avons atteint les « eaux libres », notre Eldorado de ces derniers jours, et que l’espoir renait d’arriver à temps à Nuuk, pour récupérer les clients du Capitaine Joli Coeur et plus prosaïquement nos avions retour pour la France, le moral de l’équipage est en train de remonter et il est temps de remercier notre Capitaine des Glaces. L’espoir renait !!!!

Et pourtant ! Ce matin lorsque je suis sorti sur le pont, en contemplant notre bout de fjord  entièrement pris dans la glace et nos deux bateaux côte à côte coincés dedans, j’ai eu un vrai doute sur nos possibilité de sortir de ce traquenard gelé. Et je n’étais pas le seul. MaisThierry dormait paisible et n’avait pas l’air de s’en faire. Au milieu de ce fleuve de glace, le courant descendant entrainait le pack dans un mouvement presqu’imperceptible vers la sortie. Je me disais que ce serait une bonne idée de se mettre dedans et d’en profiter pour gagner ne serait ce que quelques milles dans le bon sens. 


Pris par les glaces.
.
Et c’est ce que nous avons fait en tirant derrière nous Maewan dont l’équipage doit parfois descendre devant l’étrave pour éviter d’énormes tables de glace sur lesquelles La Louise passe presque allègrement . Enfin presque …. grâce à son poids, son étrave renforcée et la puissance de son moteur. Pour aider le barreur vissé à son poste avec sa seule tête émergeant de la cabine par le capot prévu à cet effet, je me tiens sur le côté bâbord et annonce les icebergs les plus hostiles en me demandant si l’un d’entre eux ne va pas finir par percer la coque. Ca ne passe pas vraiment en souplesse :notre pilote, malgré son indéniable habileté, est parfois obligé à une délicate marche arrière pour contourner l’obstacle et pour ma part, je trouve les craquements de plus en plus sinistres. Cahin-caha nous avançons et allons passer toute la matinée à ce jeu crispant et dangereux car la banquise bouche le fjord sur plusieurs kilomètres, en nous fiant aux commentaires optimistes de notre équipier de hune qui nous assure in petto avoir décelé une bande indigo d’eau libre là-bas tout à l’horizon. Un là-bas qui d’en bas nous semble bien loin.


Pris par les glaces ....

Remorquage .....



Inexorablement tout de même le bleu foncé se rapproche, les glaçons s’écartent progressivement en sorte d’écharpes glacées de plus en plus étroites, la vitesse passe à presque 5 noeuds, nous redescendons la vigie et nous sentons provisoirement tirés d’affaire, certains diront même « sauvés »!



Eaux libres !!!



Mais notre espoir retrouvé d’arriver à l’heure à Nuuk va être de courte durée. J’ai observé sur ma montre une inquiétante et rapide descente du baromètre. Dans cette même après midi, en quelques heures, le vent vire au sud en forcissant franchement. Pour l’instant c’est plutôt favorable et toutes voiles dehors, grand voile misaine et trinquette bômée, nous avançons « à bloc » souvent aux alentours de 15 noeuds. Du coup Maewan disparait lentement dans notre sillage jusqu’à s’effacer complètement dans la nuit qui tombe. Il neige de nouveau et barrer dans la cabine de La Louise est un réel confort que j’apprécie après nos nuits glaciales du convoyage précédent. La mer se forme de nouveau malgré l’abri des îles que nous doublons sur tribord. Notre premier repas concocté par Joli Coeur ne connait pas un vif succès. Et puis ça se gâte comme prévu : le vent vient a l’ouest puis au nord ouest en plein de face ramenant un froid polaire. Les embruns de plus en plus fournis gèlent systématiquement en retombant sur le pont qui se transforme en patinoire, les drisses, les écoutes , les haubans se parent d’une carapace de glace qu’il faut casser au maillet, la vitre du poste de pilotage aurait bien besoin d’un essuie glace dégivreur pour que l’homme de barre y voit quelque chose. Et en plus voici maintenant que réapparaissent icebergs et growlers difficilement repérables au radar, ce qui oblige des quarts de veille givrés à l’extérieur. Heureusement que notre équipage est formé de montagnards aguerris qui en ont vu d’autres dans leurs expéditions ! J’aimerai bien savoir où se trouve Maewan, cela doit être dur pour eux et nous n’avons pas réussi à les joindre par VHF tout à l’heure.
La tension monte à bord. Notre faible marge s’est réduite comme une peau de chagrin! Thierry on le comprend, ne tient pas à faire attendre ses clients sur le quai. Il existe des hôtels corrects à Nuuk, mais cela risque de coûter un bras. Avec Bertrand, nous avons quasiment fait le deuil de notre avion et je réfléchis à la manière dont je vais pouvoir continuer mon périple et rejoindre la Bolivie. De Charrybe en Scilla , alors que la dépression s’éloigne en se comblant, nous sommes bloqués par deux cordons de glace successifs, immenses, qui nous forcent à faire demi tour. Et voilà qu’en forçant le passage dans la glace Thierry  fait chauffer son moteur ce qui nous oblige à un long arrêt au milieu de la banquise pour réparer.


Enfin Nuuk ....!!!!


Lundi 19
Enfin Nuuk se profile à l’horizon. Notre ETA (Estimated Time of Arrival) est fixée à 2h00 du matin. Mais, rien n’est simple. Nous débouchons dans le chenal au milieu des cailloux avec une « bourrasque » de plus de 60 noeuds. Avec Guillaume et Thierry nous entamons une bataille homérique sur la patinoire du pont pour affaler trinquette et misaine, alourdies par une neige qui tombe à l’horizontale. Ca me ramène quelque années en arrière dans le Grand Sud avec Penduick 6 !! Le port est bien encombré par les chalutiers, les cargos et autres brise glaces remisés à l’abri et au milieu de tout cela nous nous fendons d’une manoeuvre improbable mais réussie de main de maître pour nous amarrer enfin à quai …. Clap de fin !!!


Attente de départ ....



CONCLUSION
Quelle belle aventure  pour nos deux bateaux! Je ne suis pas peu fier d’être , grâce au Trophée Mer Montagne , à la base de cette histoire magique qui n’en est qu’à son début. Mes compagnons que je ne connaissais pour la plupart que superficiellement par leurs exploits sportifs, se sont révélés ce qu’ils sont vraiment, des personnalités fortes et attachantes avec qui il est monstre agréable de vivre de telles aventures. Et on revient toujours aux mêmes constatations : les marins sont effarés par les performances des montagnards et ces derniers s’extasient devant les ressources que nous devons posséder pour traverser les océans. Je suis sûr que Jeanne ne me contredira pas.

Débarquement....

Maewan 4
La belle équipe ..



Concernant l’état des océans et le degré de pollution que je suis sensé observer, le résultat est tout à fait positif en cela qu’il n’y a pas de trace de pollution dans ces mers, au moins à cette période de l’année. Cela s’explique bien entendu par la très faible concentration de population sur les côtes, par le nombre restreint de bateaux, nous n’en avons pas croisé un seul pendant toute notre navigation en pleine mer ou dans les fjords, mais aussi par la vigilance et l’éducation des Inuits du Groenland qui vivent maintenant à la mode danoise avec un profond respect de l’environnement. Que ce soit Nuuk ou Augspilagtoq, les villes et les villages sont excessivement propres, rien ne traine, les poubelles sont partout et le système d’assainissement et de recyclage est très au point, même dans les lieux les plus reculés : Augspilagtop en était un parfait exemple. 


Retour....






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